Comment répondre aux mensonges des enfants ?

Les mensonges des enfants préoccupent les parents. Ils se posent beaucoup de questions éducatives qui s’accompagnent souvent de doute et de culpabilité de leur part. L’enfant est l’objet de toutes leurs attentions, c’est vrai, il l’est aussi de leurs inquiétudes. Pourquoi mon enfant se comporte-t-il de la sorte avec moi ? Pourquoi ne me dit-il pas la vérité ? Qu’est-ce que ce mensonge veut dire ? Qu’est-ce j’ai fait de mal ? Il me ment souvent, est-ce qu’il a un problème psychologique ? Dois-je consulter un spécialiste ? Ils ne font plus beaucoup confiance à leur bon sens. Il faut dire qu’ils ont beaucoup d’attentes vis à vis de leurs enfants et qu’ils sont abreuvés d’informations souvent contradictoires sur ce qu’il convient de faire ou de ne pas faire pour être un bon parent. Du coup ils se sentent un peu désemparés. Ils ont tendance à minimiser les problèmes et de se contenter d’un « c’est pas bien de mentir » avant de passer à autre chose. Ou alors ils dramatisent le mensonge : « tu te rends compte, c’est gravissime de mentir à sa maman, je ne pourrai plus jamais avoir confiance en toi. »

Le mensonge est normal chez les plus jeunes

Certaines personnes considèrent que les enfants d’aujourd’hui mentent plus qu’autrefois. Or il est impossible de répondre à cette question sans émettre un parti-pris ou un sentiment personnel qui ne pourraient reposer que sur une impression. Franchement Il n’existe à ma connaissance aucune étude scientifique sérieuse permettant de dire si oui ou non les enfants mentent aujourd’hui plus qu’autrefois. Je crois qu’ils ont toujours menti et qu’ils mentiront toujours. D’ailleurs, la plupart des spécialistes s’accordent à dire que les petits mensonges du jeune enfant jusqu’à 5-6 ans représentent une phase de sa construction. Ils font partie de son développement : l’enfant invente des choses, il transforme la réalité , il joue, prend des rôles et s’invente des histoires. La frontière entre le réel et l’imaginaire n’est pas très claire dans son esprit. Ces petits mensonges sont facilement identifiables et il serait regrettable que le parent leur accorde une importance excessive C’est plus tard, vers l’âge de 7 ans, que l’enfant parvient à faire la part des choses et qu’il va utiliser le mensonge pour tromper. Alors, si le mensonge devient une pratique courante de l’enfant, le parent va devoir s’intéresser à cette question et éclaircir un certain nombre de points. Mais pas n’importe comment.


Agir plutôt que réagir

Quand ils se rendent compte que leur enfant leur a menti, certains parents réagissent à la façon du taureau qui fonce tête baissée dans le drap rouge qu’on agite devant lui. C’est rarement, selon moi, une bonne solution parce que cela va trop vite : on ne réfléchit pas, on ne comprend pas, on se contracte, on crie, on se fâche, on punit et, au final, on ne fait guère avancer les choses. La première des choses est de changer de regard sur l’enfant et d’arrêter de considérer qu’il est un petit « pervers polymorphe » cruel et tout-puissant qu’il faut dompter pour éviter de se faire bouffer par lui ; cesser de croire qu’il ment pour prendre le pouvoir sur nous. Cette invention de la psychanalyse fait des ravages depuis plus d’un siècle. Il serait à mon avis raisonnable à présent de changer de lunettes.
Ensuite, en tant que parent nous pouvons considérer que le mensonge est, en lui-même, un moment de vérité, qu’il a un sens et une fonction, qu’il nous « dit » quelque chose et qu’il sert à quelque chose. Un enfant peut mentir pour différentes raisons : simplement pour voir l’effet que cela fait, pour plaisanter, par plaisir de mentir et de transformer la réalité, parce qu’il a fait une bêtise et qu’il redoute les conséquences s’il dit la vérité. La peur, la honte et la culpabilité font souvent le lit du mensonge. Certains enfants mentent aussi parce qu’ils ont une piètre estime d’eux-mêmes et que le mensonge leur permet de montrer qu’ils sont forts, habiles, courageux : « un grand a essayé d’embêter ma petite sœur, je me suis approché en roulant les mécaniques, tu verrais comme il a détalé ! » Parfois ce que le parent considère comme un mensonge n’est qu’un simple décalage de perception : par exemple l’enfant a considéré qu’un événement était sans importance et il n’en a pas faire part à son parent alors qu’il s’agit de quelque chose de grave aux yeux ce dernier. Cette omission peut être considérée par le parent comme un mensonge alors qu’elle n’en est pas un.
Quoiqu’il en soit, ne passez pas sur le mensonge, ne faites pas comme s’il n’existait pas, comme s’il était secondaire. Abordez-le sereinement avec l’enfant. Le mensonge est toujours une réponse, souvent intelligente, à une situation qui pose problème à l’enfant. Et il faut bien comprendre qu’un enfant qui ment cherche à se protéger lui-même, bien sûr, mais peut-être aussi à épargner son parent, à éviter de le mettre en souci ou de lui faire de la peine. Donc regardons le mensonge pour ce qu’il est et pour ce qu’il dit, sans le considérer systématiquement comme un problème majeur.

Ton nez s’allonge

Le dialogue avec l’enfant est nécessaire pour l’aider à sortir du mensonge. Mais un dialogue utile, constructif, aidant, avec une écoute réelle, sincère et sans jugement. Si l’enfant ment, c’est parce qu’il ignore la différence entre l’imaginaire et la réalité, qu’il méconnaît la frontière entre le bien et le mal ou qu’il n’a pas encore trouvé d’autre moyen pour régler une difficulté. Il est important de l’aider à avancer pour trouver d’autres attitudes et d’autres comportements. Dès que vous le jugez ou que vous imposez quelque chose par la contrainte ou par la force, vous avez déjà perdu. Si vous dites « tu m’as menti, tu seras puni ! » ou « tu es méchant, c’est pour cela que tu mens à longueur de journée », vous avez certes de bonnes intentions, vous voulez que l’enfant change, mais cela ne fonctionne pas. Le problème est que beaucoup de parents fonctionnent la plupart du temps avec leurs habitudes et leurs automatismes. C’est plus simple, plus économique et cela leur évite d’aller plus au fond des choses, mais finalement cela ne règle rien. Changer ses habitudes nécessite un engagement et de l’attention de la part de l’adulte, cela prend du temps.
Pour que l’enfant puisse sortir du mensonge, il faut qu’il soit en confiance avec son parent, qu’il n’ait pas peur. Sinon il va tenir tête et persister dans son mensonge, même si celui-ci est gros comme une maison. Montrez à l’enfant que vous entendez sa difficulté, qu’il ne lui sert à rien de vous cacher la vérité. Dites par exemple : « je comprends que tu aurais préféré que les choses se passent autrement parce que cela te fait beaucoup de peine d’avoir rayé la voiture en passant avec ton vélo, je suis sûr que tu ne l’as pas fait exprès... », au lieu de dire « ton nez s’allonge, tu me dis que c’est le chien avec ses griffes, tu es en train de me prendre pour un dindon. »
Chaque fois que c’est possible, réfléchissez avec l’enfant à des solutions possibles au problème : « comment est-ce que nous pouvons réparer cette bêtise ? Est-ce que tu as une idée ? » Et profitez-en pour explorer d’autres façons de procéder avec l’enfant : « j’ai confiance en toi et je sais que tu utilises ce moyen parce que tu n’as pas trouvé d’autre solution. Comment pourrais-tu faire la prochaine fois que tu rencontreras un problème de ce genre ? De quelle façon pourrais-tu me dire les choses sans être obligé de me raconter une histoire ? » Expliquez-lui pourquoi il est important pour vous de connaître la vérité, que c’est nécessaire pour maintenir la confiance entre vous, que c’est plus important que la réalité qu’il veut vous dissimuler.
Par la suite chaque fois que l’enfant vous dira la vérité, alors qu’il aurait été plus simple pour lui de faire autrement pour échapper à un problème, dites-lui combien vous êtes sensible à son honnêteté et à sa franchise. Souvent, les parents oublient de valoriser les comportements qu’ils considèrent comme normaux ou allant de soi, alors que les enfants sont très touchés quand ils reçoivent ce genre de message.

L’obsession de la vérité

Nous vivons à une époque schizophrénique dans laquelle les valeurs d’authenticité, de loyauté, de vérité et de transparence dans les relations sont érigées en valeurs suprêmes, tandis que toute la société ou presque fonctionne dans un registre parfaitement opposé. Nous voudrions des enfants parfaits dans un monde qui ne l’est pas, des enfants qui disent la vérité, toute la vérité, rien que la vérité dans un monde menteur. Il y a quelque chose qui ne colle pas là-dedans. Bien entendu, je ne dis pas qu’il faille inculquer à nos jeunes le mensonge, la duperie ou l’insincérité comme principes de vie, mais je crois que nous gagnerons à lâcher du lest sur ces questions. Le mensonge n’est pas systématiquement diabolique et la vérité toujours bonne à dire. Tout est question de contexte et d’appréciation personnelle. Les enfants ont, comme nous, besoin de cette soupape du mensonge dans certaines situations. N’exigeons pas d’eux la vérité totale et absolue en toutes circonstances.
Les parents peuvent aider leurs enfants à développer leur sens de la vérité en étant eux-mêmes vrais, loyaux, sincères et authentiques. Cela va peut-être vous surprendre, mais les parents attendent souvent de l’enfant des valeurs, des attitudes et des comportements qu’ils ne portent pas eux-mêmes. Or les enfants fonctionnent beaucoup sur le registre de l’imitation. Si vous dites par exemple à votre jeune : « il ne faut pas raconter à maman que nous avons cassé ses plantes en jouant au ballon sinon elle ne vas pas être contente, on dira que c’est le vent... » vous ne montrez pas le bon chemin. C’est anecdotique, mais les enfants ne sont pas dupes.
Le mensonge est aussi une occasion d’apprendre à ne plus mentir, saisissons-le comme un outil d’apprentissage. Voilà comment nous parviendrons à obtenir que nos enfants n’usent du mensonge qu’en cas d’absolue nécessité.

A PARAITRE EN NOVEMBRE 2017 AUX ÉDITIONS EYROLLES : Caprice, chantage, mensonge... Que faire avec un enfant qui vousmanipule ?, Christophe Carré