Connaissez-vous les porcs-épics ? Ce sont des rongeurs d’une quinzaine
de kilos, plutôt solitaires, complètement myopes, et dont la vie sociale
se limite aux activités reproductives. Ils ont la particularité de se
dresser sur leurs pattes arrières, comme les ours, et d’être équipés de
piquants qui les protègent des prédateurs et qui sont beaucoup longs que
ceux des hérissons. Les porcs-épics vivent dans des régions chaudes ou
tempérées. Alors imaginez que, par un plaisir un peu sadique vous
déplaciez une famille de porcs-épics dans une contrée glaciaire.
Qu’allez-vous observer ? Comme ils ont froid et qu’ils ne sont pas
habitués à ça, les porcs épics vont se serrer les uns contre les autres
afin de se protéger en partageant leur chaleur réciproque. Mais vous
imaginez bien qu’en se rapprochant, ils vont ressentir la douleur des
aiguilles de leurs congénères qui pénètrent à l’intérieur de leur chair.
Et sans doute qu’ils n’auront même pas conscience de les embrocher eux
aussi. Alors comme ils ont mal, ils vont s’écarter les uns des autres
pour faire cesser cette souffrance. Mais la bise souffle, le froid
redouble et les oblige à se rapprocher de nouveau. Alors les animaux
poursuivent ce jeu de yo-yo, ballottés d’un côté entre le plaisir de la
présence et de la chaleur de l'autre, et de l’autre, la souffrance
provoquée par sa proximité. Jusqu’à ce qu’ils arrivent à trouver la
juste distance qui leur permette, à la fois de partager un peu de
chaleur, tout en évitant de se piquer mutuellement. Bien sûr la solution
n’est pas parfaite, la chaleur n’est pas terrible mais la distance
apporte la fin de la sensation pénible. C’est toujours ça !
Transposée à la vie en société, cette petite histoire illustre bien l’un
des paradoxes de la vie en communauté et des difficultés relationnelles
entre les gens. Parce que nous avons besoin de faire société,
d’appartenir à un groupe, de recevoir des marques d’attention et des
signes de reconnaissance, d’être aimé. Les autres sont comme une boucle
qui nous permet de revenir à nous-même. Bien sûr nous ne sommes pas tous
logés à la même enseigne. Chez certaines personnes la présence et le
regard des autres sont indispensables, tandis que pour d’autres,
l’éloignement et la solitude, sont moins angoissants.
Mais, dans le
même mouvement, nos congénères représentent aussi une forme de danger
parce qu’ils peuvent tenter de nous influencer, de prendre le pouvoir
sur nous, de nous pousser à agir contre notre volonté, convoiter nos
biens, voire nous déposséder de ce que nous sommes. Nous pouvons devenir
dépendants d’eux et de leur chaleur, donc avoir à supporter leurs
aiguilles. Et parfois ça fait très mal.
Pas facile n’est-ce pas ? Je
pense que tout le monde se retrouve un peu dans ce flottement entre
désir d’intimité et recherche d’autonomie ? Il y a là un équilibre à
trouver, une respiration à prendre, dans laquelle chacun apporte sa
présence et sa richesse à l’autre, mais sans sacrifier ce qu’il est,
sans se fondre dans l’autre.