J’en ai marre des étiquettes, pas vous ?

Je n’ai pas trop l’habitude de raconter des histoires personnelles sauf quand elles peuvent nourrir une réflexion. Alors voilà. Quand je me suis séparé de mon ex-compagne, il y a quelques années, je me suis retrouvé avec la sympathique étiquette de « pervers narcissique », comme une vache imbécile avec un numéro agrafé à l’oreille. Certaines personnes qui me connaissaient se sont mis à changer de trottoir pour éviter de me croiser et d’avoir à me parler. On ne sait jamais, peut-être que j’étais victime d’une maladie contagieuse. Mes enfants ont naturellement été informés de ce diagnostic péremptoire et inquiétés. Je suis passé à deux doigts d’une enquête sociale ! C’est loin, cela fait partie des réjouissances liées aux séparations conflictuelles. Cette évaluation me concernant était, je l’ai découvert ensuite, le fait de l'avocate de mon ex, une spécialiste du genre, qui préfère les hommes en nature morte, sans doute à cause d’une histoire personnelle qui la regarde. En tout cas, cette dame a la réputation de faire pisser le sang en audience, et tous les types de la région dont les épouses se font représenter par cette professionnelle de la charcuterie se mettent à genoux et pleurent à chaudes larmes quand ils apprennent la triste nouvelle. Et tous se retrouvent immanquablement avec cette estampille de pervers narcissique. Ils sont plusieurs à me l’avoir confié. C’est tellement grotesque que j’en ris aujourd’hui.

Pourquoi cette introduction ? Parce que je suis fatigué de ces étiquettes qui prolifèrent comme des punaises de lit : manipulateur, bipolaire, pervers narcissique, maniaque, obsessionnel compulsif,  borderline, hyperactif, dépressif, agressif, impulsif, colérique, violent, surdoué, asocial, dyslexique, dyspraxique, dysphorique, provocateur, TDAH, que ce soit dans l’entreprise, à l’école ou dans les familles, nul n’échappe à ces litanies de diagnostics et de nosographies. Comme si tous les comportements et difficultés relationnelles étaient systématiquement des pathologies relevant d’un traitement médical.  Certes il est parfois utile de parvenir à mettre des mots sur les choses, il est sécurisant de se dire que l’on vit dans un monde séparé entre les gens normaux et ceux qui déconnent, et que ces derniers sont identifiés comme tels, que ce sont des malades contre lesquels il faut lutter, se battre s’affirmer, ou fuir. Pour les victimes ou prétendues telles, cela donne du sens. Mais il y a un mais : tout cela ne se fait pas sans dégâts majeurs.

Nous vivons dans un monde d’évaluation et d’étiquetage avec une tendance prononcée à la psychologisation des relations et des comportements, un monde dans lequel les autres sont systématiquement doubles, troubles, pervers et potentiellement dangereux. Du coup, imbibés par ces discours psychologisants, les gens s’alarment, ils se méfient, ils veulent des relations totalement sécurisées, prévisibles, transparentes. C’est un leurre absolu de croire que cela peut exister et les gens qui véhiculent cette idéologie sont des esprits totalitaires, des individus dangereux à qui tout le monde accorde le plus grand crédit parce qu’ils font le siège des médias avec leurs concepts fumeux et leur obsession du tout pathologique

Il y a plus de vingt que je travaille dans ce domaine et que je publie des ouvrages sur les difficultés relationnelles, les conflits, les jeux de pouvoir et la manipulation. Il y a quelques semaines, j’expliquais paisiblement ce point de vue sur les réseaux sociaux et une personne m’a volé dans les plumes, références à l’appui,  en m’affirmant que ce discours était typiquement celui d’un pervers narcissique, ce que j’étais sans doute à ses yeux, alors qu’elle ne me connaît ni d’Ève ni d’Adam. Mince elle m’avait démasqué !
Alors aujourd’hui je voudrais lui dédier ce court extrait tiré de L’Homme relationnel de Jean-Jacques Wittezaele. Il s’adresse également à tous les gens qui persistent à coller des étiquettes sur leurs pairs. « Mettre une étiquette sur quelqu’un, c’est le définir, le réduire à des caractéristiques générales et déprécier ses particularités individuelles, c’est le priver de sa liberté et le rendre impuissant, car c’est aussi l’obliger à accepter qu’il n’a pas le contrôle sur sa propre vie puisqu’il est limité aux caractéristiques prévues par l’étiquette. Étiqueter quelqu’un, c’est prendre le pouvoir sur lui de manière unilatérale en ne lui laissant que la possibilité de valider le label. »

Arrêtez de prendre le pouvoir sur moi sans mon accord et gardez vos étiquettes afin de réfléchir à ce qu’elles racontent sur vous.