Si je vous demande ce qu’évoque pour vous le mot
manipulation, il y a fort à parier que vous n’irez pas de main morte pour
pointer des procédés honteux, lamentables, déloyaux, et douloureux pour les
personnes qui en font les frais ; vous peut-être... Sans doute ne
manquerez-vous pas - au passage - de fustiger les pervers, imposteurs, malades, menteurs, tricheurs, fraudeurs qui en sont à l’origine. Les étiquettes ne manquent pas...
Anti-relation

La
manipulation et les pratiques qui lui sont associées sont souvent, dans la
plupart des esprits, synonymes de négativité, d’anti-relation et de rejet. Mais
pouvons-nous nous satisfaire de cette croyance tenace selon laquelle il
n’existerait qu’une forme de manipulation indivisible, comme le pensent la
majorité des gens ? Toutes les pratiques se valent-elles et sont-elles à jeter
dans le même panier aux orties, sous prétexte que le mot suscite l’indignation,
les cris d’orfraie ou les haut-le-cœur de nos contemporains ? Manipuler est-il
par nature un acte immoral, pervers et destructeur, quel que soit le contexte ?
Existerait-il des manipulations plus éthiques ? Quand et comment s’en servir à
bon escient ?
Toute communication est manipulatoire
Pour le psychiatre Jacques-Antoine Malarewicz, « toute
communication correspond à une forme de manipulation car aucune information
n’existe en tant que telle... Il n’existe pas de communication qui puisse
prétendre à la neutralité. On ne peut éviter de chercher à persuader l’autre
d’adopter, en tout ou partie, sa propre vision de tel ou tel fait... Il importe
d’abandonner la vision naïve qui consiste à affirmer que communiquer ne relève
pas de ces techniques [de manipulation] et qu’il suffit de montrer sa bonne
volonté pour s’entendre. ces techniques sont basées, tout au contraire, sur des
compétences qui s’acquièrent et se développent. » Le psychiatre et psychologue américain Milton
Erickson confirme cette présence immanquable de la manipulation dans les relations
humaines : « on m'a accusé de manipuler les patients, ce à quoi je réponds :
toute mère manipule son bébé, si elle veut qu'il vive (elle lui apprend même à
pouvoir rentrer dans le langage de la manipulation). Chaque fois que vous allez
dans un magasin, vous manipulez l'employé pour qu'il vous fasse un prix. Et
quand vous allez au restaurant, vous manipulez le serveur. Le professeur à
l'école vous manipule pour vous apprendre à lire et à écrire. Bref, la vie
n'est qu'une gigantesque manipulation. »
Nous ne pouvons pas ne pas manipuler

Tous
nos échanges avec les autres portent l’empreinte de ce jeu. Le psychologue Paul
Watzlawick, fondateur de l'École de Palo Alto nous met d’ailleurs en garde
contre les dangers d’un certain idéalisme relationnel : « les accusations de
manipulation […] sont émises par des idéalistes qui, les yeux pleins d’étoiles
pensent que le but ultime est la sincérité totale. Si vous voulez que votre
communication soit totale, elle deviendra au mieux totalitaire. »
Comme je l’indique dans mon ouvrage, fuir la
manipulation comme la peste, lutter contre les personnes qui usent de
stratégies dans leurs échanges est donc une attitude irréaliste et une erreur
d'optique. De la même manière que nous ne pouvons pas ne pas communiquer, il
nous est impossible de ne pas influencer les autres et de ne pas subir leur
influence. Nous ne pouvons pas ne pas manipuler.