Stress, émotions, conflits : l'obsession gestionnaire

Gérer ses émotions, son stress, son trac, ses conflits, etc. Tout ce qui relève de la physiologie et des relations humaines semble pouvoir être dompté et mis sous contrôle, sous réserve de disposer des moyens prophylactiques adaptés. L’idéal gestionnaire frappe à hue et à dia : aujourd'hui tout paraît gérable, traitable, "computable" aurait dit Roland Barthes...

Mais revenons aux mots qui ne sont pas là par hasard et qui en disent parfois plus long que nous ne l'imaginons sur nos croyances et nos obsessions. Si l'on s'en tient à l'étymologie, le verbe gérer vient du latin gestare qui signifie porter, faire grandir en soi, produire, enfanter. Alors certes, on gère ses affaires, un domaine, une entreprise, son compte en banque... Et si on le fait correctement, ils perdurent, se développent, prospèrent et fructifient.

Mais quid du stress, des émotions, des conflits ? Bien gérer son stress revient-il à faire en sorte qu'il se développe ? Gérer ses émotions serait-ce les laisser nous envahir et tout balayer sur leur passage ? Même question pour les conflits : partout se multiplient les ouvrages, les formations et les recommandations pour apprendre à gérer les conflits. Cela devient préoccupant et promet de très beaux jours aux sirènes de l'adversité... Vous lirez même parfois des intitulés tels que "Communication non-violente et gestion de conflits", alors même que la gestion du conflit ne peut qu'apporter davantage de violence.

Les juges qui ne prétendent pas gérer des conflits mais trancher des litiges se montrent généralement plus prudents avec le vocabulaire. Reste à convaincre ces bataillons d'auteurs, de formateurs, de ressourceurs humains et de gestionnaires à tout crin, souvent parfaitement ignorants de ce qu'ils prétendent dispenser : un conflit ne se gère pas, il se régule, il s'analyse, il se résout. Si vous gérez un conflit vous obtiendrez précisément ce que vous souhaitez éviter : la persistance ou l'escalade du problème.

En gérant le conflit, vous commencerez sans doute par relever les infractions aux codes de bonne conduite, aux règlements, aux normes culturelles, aux règles du jeu, aux lois. Vous vous intéresserez ensuite aux éléments techniques, aux dommages, au préjudice subi, à ce qui est quantifiable, mesurable, matérialisable. Ce qui vous permettra, au passage, d'identifier une victime et un coupable (qui pourra d'ailleurs lui-même être victime d'une pathologie relationnelle à identifier ou à faire identifier...) Le scénario gestionnaire du conflit s'arrête là ! Exit la dimension émotionnelle du conflit qui en est pourtant la composante primitive essentielle.

Sans émotions, pas de conflit ! Tout au plus un contentieux ou un litige qui peuvent à la rigueur être gérés sans aucun problème. Mais les émotions... Comment voulez-vous gérer des émotions ? Et en même temps, comment pourriez-vous les ignorer, alors même que ce sont elles qui sont le moteur du conflit ?